有没有人觉得翻译作品的语言很不对劲?
反正就是很别扭,一些语言翻译过来也不符合中国人的语言习惯,看着让人觉得很不舒服。比如说,“他的心情很不好”这话,被翻译成“他的心情太坏了。”(圣殿春秋)怎么看着就是觉得别扭,我们说话的习惯好像没有说太坏了的,一般都是心情很差,心情很不好,这样来表达的,太坏了这样说,也能读懂,但是就是很有距离感,可读性差。再比如,{第二天早晨,当菲力普和米利乌斯吃着粗面包和小啤酒当早点,厨子们正在烧火时,那位司厨对他说:“我们正在取胜。”}(圣殿春秋8.3),个人认为WHEN不一定非要翻译成当……时候,只要表达出同时性的语气就可以。而且,后面那句,还【我们正在取胜】,哎,雷死人不偿命啊。
偶一直在追寻一种翻译的境界,就是把外国文学中国化,起码做到具有可读性。
附:一年前的一个小翻译(别见笑)
人人都是孤独的,芸芸众生中,我们的痛苦如同一座荒芜的岛屿。 但这并非我们无法互相慰藉的理由, 这个晚上, 在路上即将消逝的声音里, 从这些字句中, 得以安慰. 哦, 迷失的可怜人, 在桌案前, 在字里行间得到安慰。他坐在桌前,掐断电话。如果电话被切断,他会觉得自己象国王一样,抵御着外界的奸恶小人,那些通过电话无端而至的恶人。
多么神奇啊,忧郁而蹒跚,象犯了罪般的偷偷摸摸亦或者寂寞时候的自斟自酌。书写中的这一刻多么的幸运,我独自呆在我的王国里,远离恶人和流氓。谁是恶人流氓呢?这个,我不会告诉你们,我不愿知道外界的事情。我不愿别人来打扰我掩饰的平静,也不愿别人来阻止我写下这几十几百页的,被命运牵动着的此刻的心情。我曾决定让所有的画家了解他们所拥有的禀赋,没有它,他们将变得平淡无奇。我用最普通的方法,逐一述说他们各自的魅力。这是我白天的品性,而在夜里和黎明,我也依然如此。
我华丽的金色羽毛笔,在纸页间游走,而我依然年轻,它慢慢地划着字迹,自右而左,如梦中般犹豫。继续吧,我唯一的慰藉,我爱你,请继续忧郁地游走在让我满足的纸页间,呆滞的注视着这些纸张,我觉得很开心。是的,这些文字,我的故乡,字里行间给我慰藉也给我回应。但是,这些字却不能换回我的母亲。我所写下的文字,无法换回我已故的母亲,无法让她体内的血液再次流淌,无法让她的鬓角再有芳香。这是夜里禁止提起的话题。身后,是我母亲生前的照片,那是我最后一次住在法国的时候照的,再后来,就是她不灭的灵魂。
一切都井然有序,滚烫的咖啡,一支刚点燃的烟,打着了的打火机,辛勤耕作着的笔,炉火附近,我和我的猫,突然,在桌前,我感到了片刻的幸福,它是如此强大,如此令我感动。我同情自己,那充满愉悦的童年却并不预示日后的幸福。我同情自己,仅仅是写字就能让我得到满足。我也怜悯我这饱经沧桑的可怜人,和我那为了活着而紧紧抓住一些爱的理由的心灵。短短的几分钟里,我感觉自己身处市井中的一片小小的绿洲上,带着一些小资的气息。但不幸随后而至,持久并难以忘怀。是的,在这几分钟里,象其他人一样,我慢慢品味我的小情调。人就是这样,不是那种人,却偏要变成那种人。真正的资产阶级女士,艺术鉴赏力比谁都强,她读到一首诗就兴致勃勃,夸夸其谈,看到塞尚的一幅画就激动万分,说得唾沫四溅,并作出种种预言,说的是她那微不足道的行话,这些话是她道听途说而来,连她自已也一知半解;她谈论绘画中的色块和门幅,并说这红色多么性感。那你妹妹是否性感?我不知道自己扯到哪里去了。在页边的空白处,按照想法画些小东西吧,一副让人鼓舞的画,或者一副精神委靡的画,慢慢地勾勒,我们把计划和决定灌注于此,一副画就是一座奇异的岛屿,灵魂的国度,蜿蜒的线条折射着悲伤的绿洲,一张有着些许疯狂,细腻,孩子气的,乖巧的,致母亲的画面。嘘,请不要惊扰她,耶路撒冷的女儿,在她熟睡的时候请不要惊扰她。
谁睡去了?我的笔问。谁睡去了呢?如果不是我的母亲永远的睡去了,那又是谁,如果不是我的母亲,那是什么让我如此痛苦?不要吵醒她,耶路撒冷的女儿,我的痛苦一直延伸到城里的墓地,我不应该说出这座城市的名字,因为这个名字与埋葬我母亲的土地同义。我的笔,继续潦草的书写吧,不要犹豫,理所当然地写吧,你将再次扯开光明的帷幕。你沉浸在这种意志里,也没有长久的停顿,这不是好的启示。哦,我的笔,你的灵魂如此骁勇而勤奋,远离黑暗的国度,停止疯狂,停止疯狂和拘谨,病态般的拘谨。你,我在镜中所见的你,是我唯一的朋友,你抑制住无声的哭泣,既然你想要这样做,那么,用你铜制的心跟我述说你死去的母亲吧,你要平静的述说,假装是平静的,谁知道呢?也许这只是一种习惯吧?那就用他们的平静的方式来讲述一下你的母亲吧,吹几下口哨,让人们相信事情并没有那么糟糕,还有微笑,别忘了还要微笑着。微笑是为了欺骗你的绝望,微笑是为了继续生活下去,在镜中微笑,在人前微笑,甚至在读这段话时微笑。戴着哀悼的面纱,脸上的笑容更甚于恐惧的气息。微笑使你相信一切,微笑使你勉强生活下去,在我母亲的亡灵之下微笑,微笑一生,并让你的一生充满微笑,直到在永恒的微笑里离去。
——摘自阿尔博特•科恩《我母亲的书》
原文(法文):
Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots. Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, si vite méchants, méchants pour rien.
Quel étrange petit bonheur, triste et boitillant mais doux comme un péché ou une boisson clandestine, quel bonheur tout de même d’écrire en ce moment, seul dans mon royaume et loin des salauds. Qui sont les salauds ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Je ne veux pas d’histoires avec les gens du dehors. Je ne veux pas qu’on vienne troubler ma fausse paix et m’empêcher d’écrire quelques pages par dizaines ou centaines selon que ce cœur de moi qui est mon destin décidera. J’ai résolu notamment de dire à tous les peintres qu’ils ont du génie, sans ça ils vous mordent. Et, d’une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant. Telles sont mes mœurs diurnes. Mais dans mes nuits et mes aubes je n’en pense pas moins.
Somptueuse, toi, ma plume d’or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j’ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t’aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais ils ne me rendront pas ma mère. Si remplis de sanguin passé battant aux tempes et tout odorant qu’ils puissent être, les mots que j’écris ne me rendront pas ma mère morte. Sujet interdit dans la nuit. Arrière, image de ma mère vivante lorsque je la vis pour la dernière fois en France, arrière, maternel fantôme.
Soudain, devant ma table de travail, parce que tout y est en ordre et que j’ai du café chaud et une cigarette à peine commencée et que j’ai un briquet qui fonctionne et que ma plume marche bien et que je suis près du feu et de ma chatte, j’ai un moment de bonheur si grand qu’il m’émeut. J’ai pitié de moi, de cette enfantine capacité d’immense joie qui ne présage rien de bon. Que j’ai pitié de me voir si content à cause d’une plume qui marche bien, pitié de ce pauvre bougre de cœur qui veut s’arrêter de souffrir et s’accrocher à quelque raison d’aimer pour vivre. Je suis, pour quelques minutes, dans une petite oasis bourgeoise que je savoure. Mais un malheur est dessous, permanent, inoubliable. Oui, je savoure d’être, pour quelques minutes, un bourgeois, comme eux. On aime être ce qu’on n’est pas. Il n’y a pas plus artiste qu’une vraie bourgeoise qui écume devant un poème ou entre en transe, une mousse aux lèvres, à la vue d’un Cézanne et prophétise en son petit jargon, chipé çà et là et même pas compris, et elle parle de masses et de volumes et elle dit que ce rouge est si sensuel. Et ta sœur, est-ce qu’elle est sensuelle ? Je ne sais plus où j’en suis. Faisons donc en marge un petit dessin appeleur d’idées, un dessin réconfort, un petit dessin neurasthénique, un dessin lent, où l’on met des décisions, des projets, un petit dessin, île étrange et pays de l’âme, triste oasis des réflexions qui en suivent les courbes, un petit dessin à peine fou, soigné, enfantin, sage et filial. Chut, ne la réveillez pas, filles de Jérusalem ne la réveillez pas pendant qu’elle dort.
Qui dort ? demande ma plume. Qui dort, sinon ma mère éternellement, qui dort, sinon ma mère qui est ma douleur ? Ne la réveillez pas, filles de Jérusalem, ma douleur qui est enfouie au cimetière d’une ville dont je ne dois pas prononcer le nom, car ce nom est synonyme de ma mère enfouie dans de la terre. Va, plume, redeviens cursive et non hésitante, et sois raisonnable, redeviens ouvrière de clarté, trempe-toi dans la volonté et ne fais pas d’aussi longues virgules, cette inspiration n’est pas bonne. Ame, ô ma plume, sois vaillante et travailleuse, quitte le pays obscur, cesse d’être folle, presque folle et guidée, guindée morbidement. Et toi, mon seul ami, toi que je regarde dans la glace, réprime les sanglots secs et, puisque tu veux oser le faire, parle de ta mère morte avec un faux cœur de bronze, parle calmement, feins d’être calme, qui sait, ce n’est peut-être qu’une habitude à prendre ? Raconte ta mère à leur calme manière, sifflote un peu pour croire que tout ne va pas si mal que ça, et surtout souris, n’oublie pas de sourire. Souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre, souris dans ta glace et devant les gens, et même devant cette page. Souris avec ton deuil plus haletant qu’une peur. Souris pour croire que rien n’importe, souris pour te forcer à feindre de vivre, souris sous l’épée suspendue de la mort de ta mère, souris toute ta vie à en crever et jusqu’à ce que tu en crèves de ce permanent sourire.
—— Extrait du Livre de ma mère d’Albert Cohen
偶一直在追寻一种翻译的境界,就是把外国文学中国化,起码做到具有可读性。
附:一年前的一个小翻译(别见笑)
人人都是孤独的,芸芸众生中,我们的痛苦如同一座荒芜的岛屿。 但这并非我们无法互相慰藉的理由, 这个晚上, 在路上即将消逝的声音里, 从这些字句中, 得以安慰. 哦, 迷失的可怜人, 在桌案前, 在字里行间得到安慰。他坐在桌前,掐断电话。如果电话被切断,他会觉得自己象国王一样,抵御着外界的奸恶小人,那些通过电话无端而至的恶人。
多么神奇啊,忧郁而蹒跚,象犯了罪般的偷偷摸摸亦或者寂寞时候的自斟自酌。书写中的这一刻多么的幸运,我独自呆在我的王国里,远离恶人和流氓。谁是恶人流氓呢?这个,我不会告诉你们,我不愿知道外界的事情。我不愿别人来打扰我掩饰的平静,也不愿别人来阻止我写下这几十几百页的,被命运牵动着的此刻的心情。我曾决定让所有的画家了解他们所拥有的禀赋,没有它,他们将变得平淡无奇。我用最普通的方法,逐一述说他们各自的魅力。这是我白天的品性,而在夜里和黎明,我也依然如此。
我华丽的金色羽毛笔,在纸页间游走,而我依然年轻,它慢慢地划着字迹,自右而左,如梦中般犹豫。继续吧,我唯一的慰藉,我爱你,请继续忧郁地游走在让我满足的纸页间,呆滞的注视着这些纸张,我觉得很开心。是的,这些文字,我的故乡,字里行间给我慰藉也给我回应。但是,这些字却不能换回我的母亲。我所写下的文字,无法换回我已故的母亲,无法让她体内的血液再次流淌,无法让她的鬓角再有芳香。这是夜里禁止提起的话题。身后,是我母亲生前的照片,那是我最后一次住在法国的时候照的,再后来,就是她不灭的灵魂。
一切都井然有序,滚烫的咖啡,一支刚点燃的烟,打着了的打火机,辛勤耕作着的笔,炉火附近,我和我的猫,突然,在桌前,我感到了片刻的幸福,它是如此强大,如此令我感动。我同情自己,那充满愉悦的童年却并不预示日后的幸福。我同情自己,仅仅是写字就能让我得到满足。我也怜悯我这饱经沧桑的可怜人,和我那为了活着而紧紧抓住一些爱的理由的心灵。短短的几分钟里,我感觉自己身处市井中的一片小小的绿洲上,带着一些小资的气息。但不幸随后而至,持久并难以忘怀。是的,在这几分钟里,象其他人一样,我慢慢品味我的小情调。人就是这样,不是那种人,却偏要变成那种人。真正的资产阶级女士,艺术鉴赏力比谁都强,她读到一首诗就兴致勃勃,夸夸其谈,看到塞尚的一幅画就激动万分,说得唾沫四溅,并作出种种预言,说的是她那微不足道的行话,这些话是她道听途说而来,连她自已也一知半解;她谈论绘画中的色块和门幅,并说这红色多么性感。那你妹妹是否性感?我不知道自己扯到哪里去了。在页边的空白处,按照想法画些小东西吧,一副让人鼓舞的画,或者一副精神委靡的画,慢慢地勾勒,我们把计划和决定灌注于此,一副画就是一座奇异的岛屿,灵魂的国度,蜿蜒的线条折射着悲伤的绿洲,一张有着些许疯狂,细腻,孩子气的,乖巧的,致母亲的画面。嘘,请不要惊扰她,耶路撒冷的女儿,在她熟睡的时候请不要惊扰她。
谁睡去了?我的笔问。谁睡去了呢?如果不是我的母亲永远的睡去了,那又是谁,如果不是我的母亲,那是什么让我如此痛苦?不要吵醒她,耶路撒冷的女儿,我的痛苦一直延伸到城里的墓地,我不应该说出这座城市的名字,因为这个名字与埋葬我母亲的土地同义。我的笔,继续潦草的书写吧,不要犹豫,理所当然地写吧,你将再次扯开光明的帷幕。你沉浸在这种意志里,也没有长久的停顿,这不是好的启示。哦,我的笔,你的灵魂如此骁勇而勤奋,远离黑暗的国度,停止疯狂,停止疯狂和拘谨,病态般的拘谨。你,我在镜中所见的你,是我唯一的朋友,你抑制住无声的哭泣,既然你想要这样做,那么,用你铜制的心跟我述说你死去的母亲吧,你要平静的述说,假装是平静的,谁知道呢?也许这只是一种习惯吧?那就用他们的平静的方式来讲述一下你的母亲吧,吹几下口哨,让人们相信事情并没有那么糟糕,还有微笑,别忘了还要微笑着。微笑是为了欺骗你的绝望,微笑是为了继续生活下去,在镜中微笑,在人前微笑,甚至在读这段话时微笑。戴着哀悼的面纱,脸上的笑容更甚于恐惧的气息。微笑使你相信一切,微笑使你勉强生活下去,在我母亲的亡灵之下微笑,微笑一生,并让你的一生充满微笑,直到在永恒的微笑里离去。
——摘自阿尔博特•科恩《我母亲的书》
原文(法文):
Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots. Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, si vite méchants, méchants pour rien.
Quel étrange petit bonheur, triste et boitillant mais doux comme un péché ou une boisson clandestine, quel bonheur tout de même d’écrire en ce moment, seul dans mon royaume et loin des salauds. Qui sont les salauds ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Je ne veux pas d’histoires avec les gens du dehors. Je ne veux pas qu’on vienne troubler ma fausse paix et m’empêcher d’écrire quelques pages par dizaines ou centaines selon que ce cœur de moi qui est mon destin décidera. J’ai résolu notamment de dire à tous les peintres qu’ils ont du génie, sans ça ils vous mordent. Et, d’une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant. Telles sont mes mœurs diurnes. Mais dans mes nuits et mes aubes je n’en pense pas moins.
Somptueuse, toi, ma plume d’or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j’ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t’aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais ils ne me rendront pas ma mère. Si remplis de sanguin passé battant aux tempes et tout odorant qu’ils puissent être, les mots que j’écris ne me rendront pas ma mère morte. Sujet interdit dans la nuit. Arrière, image de ma mère vivante lorsque je la vis pour la dernière fois en France, arrière, maternel fantôme.
Soudain, devant ma table de travail, parce que tout y est en ordre et que j’ai du café chaud et une cigarette à peine commencée et que j’ai un briquet qui fonctionne et que ma plume marche bien et que je suis près du feu et de ma chatte, j’ai un moment de bonheur si grand qu’il m’émeut. J’ai pitié de moi, de cette enfantine capacité d’immense joie qui ne présage rien de bon. Que j’ai pitié de me voir si content à cause d’une plume qui marche bien, pitié de ce pauvre bougre de cœur qui veut s’arrêter de souffrir et s’accrocher à quelque raison d’aimer pour vivre. Je suis, pour quelques minutes, dans une petite oasis bourgeoise que je savoure. Mais un malheur est dessous, permanent, inoubliable. Oui, je savoure d’être, pour quelques minutes, un bourgeois, comme eux. On aime être ce qu’on n’est pas. Il n’y a pas plus artiste qu’une vraie bourgeoise qui écume devant un poème ou entre en transe, une mousse aux lèvres, à la vue d’un Cézanne et prophétise en son petit jargon, chipé çà et là et même pas compris, et elle parle de masses et de volumes et elle dit que ce rouge est si sensuel. Et ta sœur, est-ce qu’elle est sensuelle ? Je ne sais plus où j’en suis. Faisons donc en marge un petit dessin appeleur d’idées, un dessin réconfort, un petit dessin neurasthénique, un dessin lent, où l’on met des décisions, des projets, un petit dessin, île étrange et pays de l’âme, triste oasis des réflexions qui en suivent les courbes, un petit dessin à peine fou, soigné, enfantin, sage et filial. Chut, ne la réveillez pas, filles de Jérusalem ne la réveillez pas pendant qu’elle dort.
Qui dort ? demande ma plume. Qui dort, sinon ma mère éternellement, qui dort, sinon ma mère qui est ma douleur ? Ne la réveillez pas, filles de Jérusalem, ma douleur qui est enfouie au cimetière d’une ville dont je ne dois pas prononcer le nom, car ce nom est synonyme de ma mère enfouie dans de la terre. Va, plume, redeviens cursive et non hésitante, et sois raisonnable, redeviens ouvrière de clarté, trempe-toi dans la volonté et ne fais pas d’aussi longues virgules, cette inspiration n’est pas bonne. Ame, ô ma plume, sois vaillante et travailleuse, quitte le pays obscur, cesse d’être folle, presque folle et guidée, guindée morbidement. Et toi, mon seul ami, toi que je regarde dans la glace, réprime les sanglots secs et, puisque tu veux oser le faire, parle de ta mère morte avec un faux cœur de bronze, parle calmement, feins d’être calme, qui sait, ce n’est peut-être qu’une habitude à prendre ? Raconte ta mère à leur calme manière, sifflote un peu pour croire que tout ne va pas si mal que ça, et surtout souris, n’oublie pas de sourire. Souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre, souris dans ta glace et devant les gens, et même devant cette page. Souris avec ton deuil plus haletant qu’une peur. Souris pour croire que rien n’importe, souris pour te forcer à feindre de vivre, souris sous l’épée suspendue de la mort de ta mère, souris toute ta vie à en crever et jusqu’à ce que tu en crèves de ce permanent sourire.
—— Extrait du Livre de ma mère d’Albert Cohen
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