Euromed 2: encore plus fort grâce à l’architecte du Grand Paris ?
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30/01/2010 par remileroux
Il fallait voir le visage radieux de Guy Teissier. Heureux était le président d’Euroméditerranée de présenter aux journalistes le projet lauréat de l’extension de l’opération de réaménagement emblématique de Marseille. Euromed, épisode 2: un mauvais remake ou une suite, enfin, réussie ?
Enterrée la crise économique et financière, oubliées les difficultés d’investissements, les entreprises défaillantes, les banques frileuses et que vivent les projets pharaoniques pour relancer la croissance ! A Marseille, comme souvent, le bonheur est dans l’après. Le passé est souvent glorieux, mais l’avenir, lui, sera forcément radieux. En témoignent les magnifiques perspectives d’archis et de paysagistes qui illustrent le dossier de presse de l’extension d’Euroméditerranée. Le rêve…
Pour réenchanter Marseille, il ne fallait pas le premier architecte venu. Que non. Les quinze membres du jury convoqués par l’établissement public d’aménagement (EPA) ont fait les choses en grand en retenant le projet de l’architecte et urbaniste François Leclercq qui est l’un des pilotes, excusez du peu, du « Grand Paris ».
Cette nomination ô combien symbolique préfigure-t-elle ce que pourrait être Euromed 2 ? Soit une succession de projets architecturaux plus majestueux les uns que les autres sans prise avec le réel (les premières versions du Grand Paris) ?
169 hectares et seulement 3 000 habitants
A en croire les premiers éléments présentés mi-novembre, le plan d’aménagement de l’extension de 169 hectares imaginé par François Leclercq et son équipe n’est pas très loin d’une certaine démesure. Selon Guy Teissier pourtant, il s’agit « d’un projet sage qui porte une grande attention à l’existant ».
Géographiquement parlant, ce programme s’étendra en direction des quartiers Nord de la ville. 169 hectares donc, bordés au sud par la tour CMA-CGM et le dock des Suds, à l’Est par le village du Canet et au Nord par Les Arnavaux. Un territoire traversé de multiples « fractures urbaines », sans réelle cohérence ni lisibilité et sur lequel ne vivent finalement que 3000 habitants. « Avant tout, poursuit Guy Teissier, les projets devaient proposer des coutures et non confirmer, voire renforcer les fractures de cet espace constitué de micro-quartiers déconnectés d’Euroméditerranée 1, et donc du centre-ville ».
Tant il est vrai que le territoire dont s’est emparé l’EPA n’a rien d’attirant à première vue : entrelacs de passerelles d’autoroute, d’infrastructures ferroviaires et portuaires, de terrains vagues, de friches industrielles et de noyaux qui n’ont plus grand-chose de villageois.
« Terminer Euromed 1 avant de lancer Euromed 2 »
L’enjeu est de taille, surtout si l’on songe que tout n’a pas été parfait dans le premier volet des aventures d’Euromed. Hypertrophie de surfaces commerciales et de bureaux, absence quasi totale d’espaces verts, équipements de proximité en nombre insuffisants… Là où Euromed 1 a péché, Euromed 2 rectifiera-t-il le tir ?
Pour Nicolas Maisetti, doctorant en sciences politiques à la Sorbonne et spécialisé dans le développement économique de Marseille, la situation a tout de même évolué depuis dix ans : « Opération de requalification urbaine, outil de développement économique, levier de rayonnement international, vitrine de la métropolisation, alibi de la gentrification… quel que soit le label apposé à Euroméditerranée, le projet semble entrer dans une phase plus opérationnelle ».
Certes, les programmes sortent de terre au fil des mois, mais certains ne peuvent s’empêcher de s’interroger : « Ne peut-on pas terminer les nombreux projets d’Euromed 1 avant de se lancer dans Euromed 2 ? ». Cf le Silo, le Mucem, l’esplanade de la Major, le complexe Luc Besson, etc.
« C’est l’ambiguïté d’une telle opération d’aménagement urbain, poursuit le chercheur marseillais, qui réside dans le décalage entre les formulations stratégiques initiales, d’une part, et les réalisations matérielles, d’autre part. » Une temporalité que les habitants d’un secteur concerné par une rénovation de cette ampleur ne comprennent pas toujours, particulièrement lorsqu’ils n’en sont pas les premiers bénéficiaires.
Un parc de 14 ha, une véritable éco-cité, un casino…
Qu’en sera-t-il dans le cadre d’Euromed 2 ? Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que l’extension pourrait comprendre quelque 14 000 logements neufs, 500 000 m2 de bureaux, 100 000 m2 de commerces et 100 000 m2 d’equipements publics… Georges V, Constructa et K&B en salivent déjà !
Côté espaces verts – qui n’étaient pas le fort d’Euromed 1 – l’équipe de François Leclercq a travaillé sur la création d’un « parc humide » de 14 hectares situé dans le vallon des Aygalades, dont le ruisseau est aujourd’hui canalisé. Le parc serait « prolongé jusqu’à la mer par la création d’un cours très arboré sur la rue d’Anthoine » (15e).
S’ajouteraient à cela l’enfouissement en sarcophage de la passerelle de l’A55, la construction d’une ferme énergétique (Cap Pinède) ainsi que d’un centre de tri des déchets domestiques « par réseau pneumatique ». Sans oublier non plus la création d’une corniche surplombant la rade apte à accueillir des équipements publics dans la veine des Terrasses du port (oubliées précédemment dans les projets Euromed 1 encore en chemin) : palais des événements, hôtel, mail et… et… le fameux casino cher au délégué spécial Marseille capitale européenne de la culture, Renaud Muselier.
De quoi répondre amplement aux besoins des 3 000 habitants des Crottes, du Canet ou des Aygalades qui, à l’horizon 2025 seront dix fois plus nombreux selon les prévisions de l’EPA.
L’extension pourrait par ailleurs permettre la création de 22 000 emplois. Pas seulement de croupiers…
Pour quelques milliards de plus…
Trop heureuse de présenter son lauréat mi-novembre, l’équipe d’Euromed n’était pas vraiment disposée à donner des précisions sur les montants de ce modeste programme de rénovation urbaine censé en faire « la plus grande d’Europe ». François Jalinot, directeur de l’EPA, aura été le plus fuyant, arguant qu’il est difficile à ce jour d’être précis sur le sujet : « C’est conforme à nos prévisions », s’est-il borné à répéter.
Présent parce que membre du jury, le maire PS des 1er et 7e arrondissements Patrick Mennucci s’est agacé de ce silence sur un programme « qui n’a rien à cacher puisqu’il est public ». Incroyable qu’il faille le rappeler… D’autant qu’ici aussi, l’affaire n’est pas mince. Euromed 2 est programmé pour peser près de 4 milliards d’euros d’investissements : 1 milliard de fonds publics, 3 milliards en provenance du privé. Soit l’équivalent de ce qui a été investi sur le périmètre de 1995, qui comptait 310 hectares.
Si tout se passe comme prévu, entendu qu’aucune nouvelle crise n’ébranle la finance mondiale d’ici deux ans, les premières opérations pourraient démarrer à l’horizon 2012. Le temps, tranquille, de finir Euromed 1.
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Article paru dans le mensuel Le Ravi, janvier 2010.